Le tombeau de Petosiris
 Description

Tombeau   -   Sarcophage   -   Second cercueil   -   Bas-reliefs   -   Textes de sagesse   -   Datation 
Les bas-reliefs
(D'après Gustave Lefebvre)


Le monument de Petosiris est le monument le plus complet qui nous soit parvenu des années marquant la transition saïto-persane et l'époque ptolémaïque. C'est un document de premier ordre pour l'étude de l'art égyptien vers la fin du IVè siècle, quand les écoles indigènes produisent leur dernière floraison et qu'apparaissent les premières manifestations de l'art grec.

Tout particulièrement, ici, dans cette série de bas-reliefs.


Mettons à part les tableaux rituels, ceux par exemple (pour ne citer que les plus importants) qui ornent le long mur est de la chapelle : ils reproduisent des scènes religieuses (épisodes de la cérémonie des funérailles) bien connues par les tombeaux thébains et sont éxécutés, en ce qui concerne les attitudes, les gestes et les costumes, selon la méthode traditionnelle. Ce sont, notons-le, de ces tableaux religieux qu'on rencontre à l'exclusion de tous autres, et répétés à profusion, au tombeau de Patuamenap, que de consciencieux artisans de la XXVIè dynastie avaient construit sur les pentes de l'Assassif et décoré à l'imitation des syringes royales.

Les décorateurs du tombeau de Petosiris firent preuve de plus d'éclectisme et de fantaisie : longues théories de porteurs et porteuses d'offrandes, scène de métiers manuels, travaux des champs, élevage de bestiaux, couvrent parois et soubassements, rappelant les motifs usités dans les mastabas memphites, dans les hypogées de la Moyenne-Égypte, et dans certains tombeaux de la XVIIIè dynastie, ceux entre autres de Rekmera et de Paheri. Ces sujets ne sont pas seulement traités avec la précision, la souplesse, l'abondance qui caractérisent la renaissance de l'art à l'époque saïte, mais on y observe ce sens de la vie, cette recherche du pittoresque, cette intensité du mouvement, qui ont été, de tout temps, la marque de l'école hermopolitaine, et qui n'ont pu que s'affirmer et s'accentuer sous l'influence de l'art grec.







Prenez les porteuses d'offrandes, et voyez avec quelle heureuse variété sont exprimés leurs gestes et leur physionomie individuelle. Comme l'écrivait Maspéro de celles qui décorent un bas-relief du tombeau de Zanofer, "elles ne sont pas toutes dessinées sur un poncif uniforme. L'artiste les a conservées jeunes selon la tradition des écoles anciennes, mais elles n'ont plus les rondeurs menues et d'apparence virginale qui plaisaient tant à ces écoles ; il leur a donné le sein lourd, la taille épaisse, le ventre gonflé, la cuisse élargie, la démarche ferme des femmes mères." Il les a souvent représentées accompagnées de leurs enfants, et dans cette représentation même on saisit la différence qui sépare nos bas-reliefs des bas-reliefs thébains : au tombeau de Rekhmera par exemple, des femmes captives s'avancent vers un scribe qui les dénombre, tenant par la main leurs enfants ou les portant dans une hotte de cuir : les gestes des mères et des enfants sont raides, leur démarche guindée, leur attitude uniforme. Dans notre tombeau, au contraire, l'artiste s'est plu à dessiner différemment chacun de ses personnages, à introduire de la variété dans leur allure et leurs mouvements. Voici une mère qui essaie de retenir par le bras un garçonnet, court-vêtu, qui gambade à ses côtés en brandissant un canard au-dessus de sa tête : une autre tient sur le bras gauche son bébé endormi, accroupi dans le pli de son chiton ; celle-ci porte son enfant à bras tendus et l'embrasse ; celle-là le porte à califourchon et, lui saisissant la jambe, elle l'attire doucement vers son visage, dans un geste gracieux, quoique maladroitement rendu.









La même diversité s'observait parmi les porteuses d'offrandes -- qui, en règle générale, alternent avec les porteuses : les visages, les coiffures, les costumes, les poses, les accessoires sont, pour chacun d'entre eux, soigneusement différenciés. La présence de nègres et de négrillons, fermant la marche de l'une des théories, ajoute encore une note de pittoresque à cette procession qui se profile, animée et presque joyeuse, au milieu des couronnes, des guirlandes et des fleurs.


On est peut-être moins frappé, de prime abord, par l'attitude, pourtant si naturelle et aisée, des paysans au labour ou à la moisson, parce que l'on songe malgré soi aux scènes du même genre, débordantes de vie, qu'avaient sculptées les maîtres incomparables de l'époque memphite. Mais les avoir égalés dans l'art d'animer ses tableaux n'est pas pour l'auteur de nos bas-reliefs un faible mérite. Son souci de réalisme se trahit d'ailleurs, d'une façon plus sensible à nos yeux, par l'effort évident qu'il a fait pour échapper à ce que Maspéro appelait "la loi de malformation", c'est-à-dire pour établir des figures selon les règles vraies de la perspective : s'il n'est jamais arrivé à représenter complètement de face un seul de ces personnages, en revanche il a réussi à en poser plusieurs parfaitement de profil. D'autre part, il semble avoir voulu donner aux ouvriers manuels, aux travailleurs des champs, le costume que ceux-ci portaient de son temps : il ne sont pas nus, ou couverts d'un simple pagne, comme le sont toujours les paysans égytiens de l'époque pharaonique ; mais ils portent une tunique souple, analogue à la galabiéh du fellah moderne, et qui, le plus souvent, est retroussé jusqu'aux genoux. Cette sorte de longue chemise devait être, au IVè siècle, le vêtement ordinaire des petites gens. Quelques cent ans plus tard, nous en voyons revêtus les laboureurs, jardiniers, bergers, dont les statuettes grecques d'Égypte, en bronze ou en terre cuite, nous ont conservé l'image. Comme certains de ces travailleurs, nos paysans sont également coiffés, pour se mettre à l'abri du soleil, d'un curieux bonnet conique : ce bonnet devait être fait en quelque chose de léger, feuillage, paille ou papyrus ; et, de fait, on a trouvé un bonnet de ce genre, en paille, dans un tombeau thébain, parmi d'autres objets paraissant dater du VIIIè ou du VIIè siècle, ce qui prouve d'ailleurs que la mode de cette coiffure était établie depuis longtemps en Égypte. Un certain nombre de nos laboureurs portent tous la barbe, mais d'autres ont le visage glabre ; et tandis que les uns ont une abondante chevelure bouclée, les autres sont chauves et ont le front couvert de rides.


Partout le peintre est venu, comme de coutume, à l'aide du sculpteur. Les bas-reliefs, ainsi que les signes hiéroglyphiques, étaient enluminés de couleurs vives, particulièrement bien conservées sur les quatre parois de la chapelle et sur le mur est du pronaos. Les soubassements, exposés au contact des cadavres qui furent postérieurement déposés dans le tombeau, ont naturellement plus souffert que les parties hautes : certains des porteurs et porteuses d'offrandes ont cependant gardé tout leur coloris. La peinture ne mettait pas seulement en valeur le modelé du relief, elle complétait la sculpture et suppléait à ses insuffisances. Sans la couleur, on ne s'expliquerait pas, par exemple, l'espèce de "peignoir", couvrant seulement l'épaule, le dos et les reins, que portent quelques femmes du bas-relief de Psammetichos-Nefersam, et qu'on retrouve, mainte fois répété et généralement colorié en vert, au Tombeau de Petosiris, sur les longs soubassements de la chapelle : une dizaine de porteuses d'offrandes sont revêtues de ce manteau aux proportions étriquées et exigües, dont les pans généralement arrondis s'arrêtent aux jarrets : mais grâce à la peinture, on se rend compte que ce curieux vêtement recouvrait en réalité une robe longue, faite d'une étoffe qui collait au corps et si transparente que parfois le nombril est visible sous le léger tissu, robe dont seul le pinceau du peintre avait habillé le corps que le sculpteur avait préalablement modelé. Chose étrange, ce petit manteau n'est pas spécial au costume féminin : plusieurs hommes le portent par-dessus un pagne très court qui, comme la tunique des femmes, est simplement peint.







Le goût du réalisme, le souci de l'observation exacte, qui sont parmi les caractéristiques de nos bas-reliefs, peuvent être attribués, pour une part au moins, à l'influence de l'art grec, quoiqu'il soit difficile de préciser dans quelle mesure les décorateurs du tombeau se sont inspirés du style et de la technique des artistes grecs et ont, à l'école de ceux-ci, modifié ou perfectionné les traditions de l'école hermopolitaine. Où cette influence est manifeste et réellement perceptible, c'est dans les diverses particularités du costume, qui n'ont assurément rien d'égyptien. Ainsi, il est vraisemblable qu'a Hermopolis les femmes de qualité portaient, selon la mode égyptienne, le sarrau collant dont nous voyons vêtues les filles de Sishou aux funérailles de leur père, et les hommes de même classe devaient porter soit une tunique, soit un jupon long, attaché aux épaules par une bretelle ou fixé aux reins par une ceinture. Or, sur les murs de notre tombeau, un certain nombre de porteur d'offrandes, qui paraissent être des membres de la famille ou des amies, plutôt que des servantes, -- en particuler les femmes du beau bas-relief qui orne le soubassement sud-est du pronaos, -- sont représentées vêtues à la grecque. D'autre part, Petosiris, ses parents, ses intendants, sont presque tous enveloppés dans ce vêtement à bordure crénelée, qu'on est convenu d'appeler le "manteau macédonien", et que Maspéro avait déjà signalé, en soulignant son origine, sur les bas-reliefs de Zanofer.

Mais c'est surtout dans la grande composition gravée sur le soubassement sud-ouest du pronao que se manifeste, de façon éclatante, l'influence de la civilisation et de l'art grecs. L'artiste, s'efforçant ici de rompre avec la tradition égyptienne et d'innover, a eu l'ambition de traiter, à la manière grecque, un sujet grec, -- la réunion de la famille autour du tombeau, à l'occasion d'un sacrifice offert au mort héroïsé. Sans doute, l'exécution n'est pas de tout point satisfaisante : elle comporte des maladresses et des hésitations, elle révèle certaines ignorances ; mais l'artiste a évidemment fait effort pour échapper à la tyrannie d'habitudes millénaires, et certaines figures, - les femmes participant au sacrifice, l'adorante, la pleureuse accoudée à la colonnette -- ne sont pas indignes des modèles grecs qu'il dut avoir sous les yeux.

Est-ce à Hermopolis même qu'il avait pris contact avec l'art et la culture helléniques ? Dès la XXVIè dynastie, les Grecs s'étaient répandus en Égypte ; ils durent, après la conquête d'Alexandre, achever de s'y installer, et l'on sait, au surplus, que Ptolémaïs, à 200 kilomètres au sud d'Hermopolis, fut fondé par Ptolémée Ier Sôter. L'hypothèse d'une réelle infiltration grecque en Moyenne-Égypte, à la fin du IVè siècle, n'est donc pas inadmissible. Aussi peut-on supposer que le décorateur du Tombeau de Petosiris s'était initié à l'art grec dans une école de Memphis. C'est de Memphis que proviennent les bas-reliefs de Psammetichos'Nefersam et ceux de Zanofer, où l'on a reconnu avec raison la marque de l'influence grecque. En tout cas, étant données les analogies qui existent entre ces oeuvres magistrales produites par une école du Delta et les reliefs du Tombeau de Petosiris, il n'est pas téméraire d'affirmer que ces reliefs, notamment le sacrifice en l'honneur du mort héroïsé, ont été sculptés à une date très voisine de l'an 300.




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